Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 11.djvu/39

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
INTRODUCTION.

caparaçon de velours cramoisi brodé de lions et de branches de mûrier d’argent : il porte une armure commandée tout exprès au meilleur armurier d’Allemagne. Henry Bolingbroke, duc d’Hereford, monté sur un destrier blanc que revêt une housse de velours vert et bleu, brodée de cygnes et d’antilopes d’or, porte la merveilleuse panoplie que, selon le rapport de Froissait, lui a envoyée messire Galéas, duc de Milan. Toutes les formalités d’usage sont remplies. Les lances ont été mesurées. Les deux combattants ont successivement décliné leurs titres, et chacun a attesté par serment la justice de sa cause. Le signal est donné, et les champions s’élancent, l’un contre l’outre, la lance au poing. Instant solennel. Bolingbroke a pour lui les prières d’une veuve et les sympathies palpitantes de toute une nation ; Norfolk a pour lui les yeux hypocrites du roi. Imaginez en ce moment l’inquiétude de Richard : si le ciel allait décerner la victoire à Bolingbroke ! Si Dieu, en décrétant la défaite de Mowbray, allait punir devant tous le crime secrètement ordonné par le roi ! Richard frémit devant cette possibilité : se voir condamné dans son ministre par le verdict d’en haut. À tout prix il faut prévenir une telle conclusion, et voilà le roi qui tout à coup jette son bâton de commandement entre les deux adversaires. Le combat judiciaire est arrêté. Richard interpose sa volonté entre l’appelant et le défendant, et brusquement évoque à son tribunal la cause qui s’instruisait devant les assises divines. Par un coup d’État imprévu, il substitue l’arbitraire royal à la justice providentielle. Le roi usurpe sur le Très-Haut ; il enlève à Dieu le droit de prononcer ici la sentence : les deux adversaires sont condamnés à l’exil. Froissart raconte avec toute l’autorité d’un contemporain l’effet produit en Angleterre par la proscription de Bolingbroke. Ce fut un deuil national. La patrie pleura