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MESURE POUR MESURE, TIMON D’ATHÈNES, ETC.

tait à accélérer la mort des malades en leur retirant brusquement leur oreiller.

(20) Allusion à la gorgerette treillissée si fort à la mode vers la fin du seizième siècle. Cette pièce qui soutenait la gorge en la laissant voir était portée spécialement par les femmes non mariées. Impudeur singulière de la chasteté ! C’était l’usage, à la cour d’Élisabeth, que les filles vierges eussent le sein nu. La reine elle-même observait encore cette coutume à l’âge de soixante-dix ans, ainsi que le prouve la curieuse narration du fameux voyageur Hentzner qui la vit à Greenwich en robe de soie blanche, « le sein découvert, comme l’ont toutes les dames anglaises, jusqu’à ce qu’elles se marient, her bosom uncovered, as all the English ladies have it, till they marry[1]. »

Ce détail de toilette tranche nettement la question de savoir quel costume doivent porter les personnages de Timon d’Athènes. L’auteur entendait évidemment que ses personnages fussent vêtus suivant la mode de son temps. C’est donc un contre-sens que de les habiller à la mode hellénique et de leur donner, comme le veut M. Knight, le costume indiqué par les métopes du Parthénon. Le vêtement dans Timon d’Athènes n’est pas plus antique que le décor. Soyez logiques. Si vous habillez à la grecque les convives de Timon, il vous faudra les faire souper, suivant l’usage attique, couchés sur des lits autour du triclinium. Pourquoi pas, direz-vous ? Mais alors comment cette mise en scène se conciliera-t-elle avec les paroles de Timon, disant à ses commensaux d’aller chacun à son tabouret, each man to his stool ? Comment se conciliera-t-elle avec l’apparition de ce page et de ce fou qui nous amusait tout à l’heure de leurs lazzis ? Est-ce que, par hasard, l’antiquité connaissait le page et le fou de la domesticité féodale ? Évidemment non. Donner à Timon d’Athènes le costume et le décor hellénique, ce n’est donc pas seulement man-

  1. Voir la Vie d’Élisabeth par Agnès Strickland. (Queens of England, vol. VII, p. 218.)