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SCÈNE XIII.

l’aimerais mieux aujourd’hui. As-tu jamais connu un prodigue qui, à bout de moyens, ait été aimé ?

timon.

As-tu jamais connu un homme qui, sans les moyens dont tu parles, ait été aimé ?

apemantus.

Oui, moi-même.

timon.

Je te comprends ; tu as eu les moyens de nourrir un chien.

apemantus.

Quelle est la créature au monde qui, selon toi, se rapproche le plus du flatteur ?

timon.

La femme en approche le plus ; mais l’homme, l’homme est la flatterie même. Et que ferais-tu du monde, Apemantus, s’il était en ton pouvoir ?

apemantus.

Je le livrerais aux bêtes, pour être débarrassé des hommes.

timon.

Voudrais-tu toi-même succomber dans la destruction des hommes pour rester bête avec les bêtes ?

apemantus.

Oui, Timon.

timon.

Ambition bestiale ! Puissent les dieux la satisfaire ! Si tu étais lion, le renard te duperait ; si tu étais agneau, le renard te mangerait ; si tu étais renard, le lion te suspecterait, quand, par aventure, tu serais accusé par l’âne ; si tu étais âne, ta stupidité ferait ton tourment, et tu ne vivrais que pour servir de déjeuner au loup ; si tu étais loup, ta voracité te persécuterait, et souvent tu hasarderais ta vie pour ton dîner ; si tu étais licorne, l’orgueil et la colère te perdraient et feraient de toi-même la victime de ta