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LA SAUVAGE APPRIVOISÉE.

LUCENTIO.

— Grand merci, mon garçon ; poursuis ; ce que tu dis me satisfait déjà ; — il ne me reste plus, pour être consolé, qu’à écouter tes conseils.

TRANIO.

— Maître, vous regardiez si tendrement cette jeune fille, — que vous n’avez peut-être pas remarqué la chose essentielle.

LUCENTIO.

— Oh ! si fait ! j’ai vu sur son visage une beauté suave — comme celle de cette fille d’Agenor — qui réduisit le grand Jupiter à s’humilier devant elle — et à baiser de ses genoux le rivage de Crète.

TRANIO.

— Vous n’avez rien vu de plus ? Vous n’avez pas remarqué comme sa sœur — s’est mise à grogner ! Elle a soulevé une telle tempête — que des oreilles humaines pouvaient à peine en supporter le vacarme !

LUCENTIO.

— Tranio, j’ai vu remuer ses lèvres de corail, — et elle parfumait l’air de son haleine ; — tout ce que j’ai vu en elle était céleste et ineffable !

TRANIO.

— Allons, il est temps de le tirer de son extase. — Je vous en prie, réveillez-vous, monsieur ; si vous aimez cette jeune fille, — appliquez vos pensées et votre esprit à la conquérir. Voici la situation : — sa sœur aînée est si bourrue et si acariâtre — que, jusqu’à ce que son père se soit débarrassé d’elle, — votre amour doit se résigner, maître, à vivre vierge dans la réclusion ; — jusque-là, le père enferme la cadette, — afin de la soustraire aux importunités des soupirants.

LUCENTIO.

— Ah ! Tranio, quel père cruel ! Mais n’as-tu pas