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LES COMÉDIES DE L’AMOUR.

nage, mais une société, et donnant des ordres, non pas à Martine, mais à tout un peuple. À ce bas-bleu qui porte la jarretière d’Édouard III, prêtez tous les travers fémimins que Molière a dénoncés, la minauderie de Cathos, la pruderie d’Arsinoë, la vanité de Bélise, l’afféterie d’Armande et la violence de Philaminte, et grandissez ces défauts de la redoutable hauteur des Tudors. Représentez-vous cette femme vraiment savante, cette reine qui apostrophe en français l’ambassadeur de France, en italien l’envoyé de Venise, en allemand le nonce de l’Empire, en castillan le parlementaire d’Espagne, et en latin le représentant de Pologne ; cette souveraine qui a traduit Platon, Isocrate, Euripide, Xénophon, Plutarque, Salluste, Horace, Boèce, Sénèque et Cicéron de la même main qui a signé la mise à mort de Marie Stuart ; représentez-vous-la, non pas assise, comme chez Molière, entre des Vadius et des Trissotins, mais servie à genoux par les plus jeunes et les plus beaux Clitandres et trônant au milieu des adulations et des encens, dans une perpétuelle apothéose.

Telle était l’adversaire que devait affronter l’auteur de Peines d’amours perdues. Et n’allez pas croire que j’exagère en attribuant à la reine Élisabeth tous les ridicules que notre grand Poquelin a distribués entre ses précieuses. Il est curieux de voir avec quelle minutie l’histoire confirme la justesse de ce rapprochement. Toutes les mièvreries que le poëte des Femmes savantes a raillées, toutes les fausses théories qu’il a bafouées dans le salon de Chrysale, toutes les excentricités qu’il a châtiées sur le dos de ce pauvre Mascarille, étaient hautement patronnées par la toute-puissante fille de Henri VIII. — La carte du Tendre, tracée avec tant de scrupule par Mlle de Scudéry, n’était qu’une copie dégénérée de la précieuse mappemonde autorisée par Élisabeth : sur cette mappe-