Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1869, tome 6.djvu/339

Cette page a été validée par deux contributeurs.
341
SCÈNE II.

PHALÈNE, à part.

Qui prouve que tu n’es qu’un zéro.

ARMADO.

Sur ce, je t’avouerai que je suis amoureux : et, comme un soldat s’abaisse à aimer, je suis amoureux d’une fille de bas étage. Si je pouvais tirer l’épée contre l’humeur de mon affection pour me délivrer de ce sentiment réprouvé, je ferais ma passion prisonnière, et je l’échangerais avec quelque courtisan français pour une révérence de nouvelle mode. Je trouve humiliant de soupirer ; il me semble que je devrais abjurer Cupido. Console-moi, page : quels sont les grands hommes qui ont été amoureux ?

PHALÈNE.

Hercule, maître.

ARMADO.

Suave Hercule !… Cite-moi encore d’autres autorités, cher page ; et surtout, mon doux enfant que ce soient des hommes de bonne renommée et de mœurs solides.

PHALÈNE.

Samson, maître ! C’était un homme de mœurs solides, bien solides, car il chargeait les portes d’une ville sur ses épaules, comme un portefaix, et il était amoureux !

ARMADO.

Ô robuste Samson ! Ô musculeux Samson !… Je te surpasse autant à manier la rapière que tu m’as surpassé à porter les portes. Je suis amoureux, moi aussi ! Quelle était l’amante de Samson, mon cher Phalène !

PHALÈNE.

Une femme, mon maître.

ARMADO.

De quelle couleur ?

PHALÈNE.

D’une des quatre couleurs connues, ou de deux, ou de trois ou de toutes les quatre.