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INTRODUCTION.

quelle vertigineuse distance ! « Autant vaudrait pour moi, se dit-elle, aimer quelque astre splendide et songer à l’épouser. Il est tellement au-dessus de moi !… C’est tout au plus à la lumière oblique de ses brillants rayons, ce n’est pas à sa sphère que je puis aspirer ! L’ambition de mon amour en est le supplice : la biche qui voudrait s’unir à un lion est condamnée à mourir d’amour. »

Cependant riez si vous voulez. Malgré l’abîme qui la sépare de Bertrand, Hélène ne se décourage pas ; elle a la foi qu’inspirent les grandes flammes ; elle est douée de cette crédulité rebelle que perpétue l’incessant désir. À force de penser à Bertrand, on dirait que parfois elle l’attire à elle dans l’invisible étreinte de l’extase. Alors elle croit toucher le but éblouissant : « Quelle est la puissance, se demande-t-elle, qui élève mon amour si haut et me fait apercevoir l’idéal dont ma vue ne peut se rassasier ? Souvent les êtres les plus éloignés par la nature, la fortune les rapproche pour les réunir dans le baiser d’une sympathie native. »

Tout à coup une nouvelle grave vient surprendre Hélène au milieu de ses rêveries : le roi de France se meurt ! La maladie de langueur dont il est atteint a été déclarée incurable par les docteurs assemblés, et Son Altesse abandonnée et condamnée s’est pieusement résignée à quitter le Louvre pour Saint-Denis. La rumeur publique répète avec attendrissement ce mot du royal moribond : « Puisque je ne puis plus rapporter ni miel ni cire à la ruche, il est grand temps que je sois emporté pour faire place à d’autres travailleurs. » Jamais les princes ne sont aussi populaires que quand ils sont sur le point d’abdiquer. Aussi la consternation est générale. Qui donc sauvera ce bon monarque légendaire qui unit la sagesse de Marc-Aurèle à l’indulgence de Louis XII ?

En apprenant la maladie désespérée du roi, Hélène se