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LES COMÉDIES DE L’AMOUR.

général. S’adressant au peuple, elle lui parlait son langage. Dans la Sauvage apprivoisée, une des premières pièces de Shakespeare, le style du maître est aussi prosaïque qu’il peut l’être. Excepté dans le prologue où le lyrisme naissant du jeune poëte prend déjà des ailes, le dialogue affecte partout l’expression directe, le mot usuel, la locution familière. Peu de métaphores, point d’images. Le naturel de la phrase en est îa seule parure. En écoutant tous ces personnages attablés chez Baptista, vous croiriez entendre de bons bourgeois de la Cité causant au coin de leur feu, vers la fin du règne de la reine Bess. L’auteur a si bien su déguiser son style que beaucoup de connaisseurs s’y sont trompés. Le commentateur Farmer est même allé jusqu’à déclarer la pièce apocryphe. Heureusement que l’authenticité n’en est pas douteuse ; sans quoi peut-être nous aurions vu la critique en masse rejeter de l’œuvre de Shakespeare cette charmante comédie de jeunesse. Mais la Sauvage apprivoisée, bien que non imprimée du vivant de l’auteur, a été insérée dans l’édition générale de 1623. Et voilà qui suffit. Le ciel préserve les poëtes des commentateurs ! Il n’est pas d’amis plus dangereux. Voyez Voltaire : que de mal n’a-t-il pas dit de Corneille sous prétexte de l’annoter ! — Ne pouvant sérieusement contester son œuvre à Shakespeare, qu’ont fait les critiques ? Ils lui en ont contesté l’idée première. Ils l’ont accusé de plagiat. Ils l’ont accusé d’avoir frauduleusement copié une pièce qui depuis longtemps appartenait au répertoire anglais et qui avait été jouée avec grand succès par la troupe du comte de Pembroke, sous ce titre : Une Sauvage apprivoisée. Dans cette vieille comédie, que l’imprimerie nous a conservée dès 1594[1], on retrouve

  1. Voir aux notes les extraits que j’en ai traduits.