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TROISIÈME HISTOIRE TRAGIQUE.

heures. Et lors entrèrent dedans le sépulcre et trouvant Rhoméo sans vie, menèrent un deuil tel que peuvent appréhender ceux qui ont aimé quelqu’un de parfaite amitié.

Et ainsi qu’ils faisaient leurs plaintes, Juliette sortant de son extase et avisant la splendeur dans ce tombeau,

    plaisirs, mon cher et unique seigneur, comment, après m’avoir procuré des jours si doux, comment, après avoir fait à toi seul tout mon bonheur, peux-tu être la cause de tant d’amertumes ? À peine arrivé au matin de la vie, tu en as terminé le cours, de cette vie à laquelle tant d’autres attachent un si grand prix, et à l’âge même qui la rend encore plus agréable. Te voilà donc parvenu à ce terme que tôt ou tard, il nous faut tous atteindre. Cher seigneur, tu as voulu finir ici tes jours sur le cœur d’une épouse que tu as tant aimée et dont tu étais l’unique amour. C’est volontairement que tu es venu mourir ici, choisissant pour ta sépulture le lieu où tu la croyais ensevelie. Jamais tu n’aurais cru recueillir en ce tombeau un tribut de larmes aussi vraies et aussi amères ; Non, jamais tu n’as pu te décider à aller dans un monde plus heureux sans être persuadé de m’y trouver pour ajouter encore à ton bonheur. Je suis sûre que déjà, ne m’y ayant pas trouvée, ton âme est revenue ici savoir si je ne te suivais pas. Oui, elle est ici, ton âme : ne la vois-je pas errer autour de ces lieux, s’étonner, s’affliger de mon retard ? Roméo, mon cher seigneur, je te vois, je t’entends, je te reconnais, je sais que tu ne désireras rien autre que de me voir avec toi. Ne crains pas, un seul instant, cher époux, que mon intention puisse être de rester séparée de toi sur cette terre ; non, ne le crains pas ; car sans toi, la vie m’y serait mille fois plus cruelle et plus insupportable que tous les supplices que les hommes pourraient inventer. Sois donc bien assuré, cher Roméo, que je ne tarderai pas à te rejoindre, pour ne plus te quitter. Et quelle compagnie puis-je avoir, pour sortir de ce misérable monde, qui me soit plus chère et plus agréable que la tienne ? Oui, je suivrai tes traces et ne t’abandonnerai pas. »

    Le religieux et Piétro, pénétrés de compassion, fondaient en larmes et faisaient tout leur possible pour lui donner quelque consolation ; mais tout cela en vain. Le père Lorenzo lui disait : « Ma fille, nous ne pouvons pas revenir sur ce qui est fait et accompli. S’il était possible avec des pleurs de ressusciter Roméo, nous fondrions tous en larmes afin de le rappeler à la vie, mais il n’y a point de remède. Reprends courage, songe à présent à vivre, et si tu ne veux pas retourner dans la maison de ton père, je pourra réussir à te placer dans un saint monastère où, te consacrant au service du Seigneur, tu lui adresseras de ferventes prières pour l’âme de ton mari. »

    Mais Juliette ne voulant rien écouter, et désespérant de pouvoir racheter la vie de Roméo au prix de la sienne, elle persista dans son cruel dessein et se résolut à mourir. Ayant donc concentré toutes ses pensées sur son malheureux époux qu’elle serrait sur sa poitrine, elle tomba dans une rêverie profonde, puis expira. »