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APPENDICE.

Antonio, auquel il l’accorda libéralement, après toutefois l’avoir communiqué à sa femme. La mère, fort joyeuse d’avoir rencontré un si honnête parti pour sa fille, la fit appeler en privé et lui fit entendre comme les choses étaient passées entre son père et le comte Pâris, lui mettant la beauté et bonne grâce de ce jeune comte devant les yeux, les vertus pour lesquelles il était recommandé d’un chacun, ajoutant pour conclusion, les grandes richesses et faveurs qu’il avait aux biens de fortune, par le moyen desquelles elle et les siens vivraient en étemel honneur. Mais Juliette, qui eût plutôt consenti d’être démembrée toute vive que d’accorder ce mariage, lui dit avec une audace non accoutumée :

— Madame, je m’étonne comme avez été si libérale de votre fille de la commettre au vouloir d’autrui, sans premier savoir quel était le sien ; vous en ferez ainsi que l’entendrez, mais assurez-vous que, si vous le faites, ce sera outre mon gré. Et quant au regard du comte Pâris, je perdrai premier la vie qu’il ait part à mon corps, de laquelle vous serez homicide, m’ayant livrée entre les mains de celui lequel je ne puis ni ne veux, ni ne saurais aimer. Par quoi je vous prie me laisser désormais vivre ainsi sans prendre aucun soin de moi, tant que ma cruelle fortune ait autrement disposé de mon fait.

La dolente mère, qui ne savait quel jugement asseoir sur la réponse de sa fille, comme confuse et hors de soi, va trouver le seigneur Antonio auquel, sans lui rien déguiser, fit entendre le tout. Le bon vieillard, indigné outre mesure, commanda qu’on l’amenât incontinent par force devant lui, si de bon gré elle ne voulait venir. Et sitôt qu’elle fut arrivée toute éplorée, elle commença à se jeter à ses pieds, lesquels elle baignait tous de larmes pour la grande abondance qui distillait de ses yeux.