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ROMÉO ET JULIETTE.

ROMÉO.

— Viens ici, l’ami… Je vois que tu es pauvre ; — tiens, voici quarante ducats (127) ; donne-moi — une dose de poison ; mais il me faut une drogue énergique — qui, à peine dispersée dans les veines — de l’homme las de vivre, le fasse tomber mort, — et qui chasse du corps le souffle — aussi violemment, aussi rapidement que la flamme — renvoie la poudre des entrailles fatales du canon !

L’APOTHICAIRE.

— J’ai de ces poisons meurtriers. Mais la loi de Mantoue, — c’est la mort pour qui les débite.

ROMÉO.

— Quoi ! tu es dans ce dénûment et dans cette misère, — et tu as peur de mourir ! La famine est sur tes joues ; — le besoin et la souffrance agonisent dans ton regard ; — le dégoût et la misère pendent à tes épaules (128). — Le monde ne t’est point ami, ni la loi du monde ; — le monde n’a pas fait sa loi pour t’enrichir ; — viole-la donc, cesse d’être pauvre et prends ceci.

Il lui montre sa bourse.
L’APOTHICAIRE.

— Ma pauvreté consent, mais non ma volonté.

ROMÉO.

— Je paye ta pauvreté, et non ta volonté.

L’APOTHICAIRE.

— Mettez ceci dans le liquide que vous voudrez, — et avalez ; eussiez-vous la force de vingt hommes, vous serez expédié immédiatement (129).

ROMÉO, lui jetant sa bourse.

— Voici ton or ; ce poison est plus funeste à l’âme des hommes, — il commet plus de meurtres dans cet odieux monde — que ces pauvres mixtures que tu n’as pas le droit de vendre. — C’est moi qui te vends du poison ; tu