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SCÈNE VII.
je suis trop éprise, — et tu pourrais croire ma conduite légère ; — mais crois-moi, gentilhomme, je me montrerai plus fidèle — que celles qui savent mieux affecter la réserve. — J’aurais été plus réservée, il faut que je l’avoue, — si tu n’avais pas surpris, à mon insu, — l’aveu passionné de mon amour : pardonne-moi donc — et n’impute pas à une légèreté d’amour cette faiblesse — que la nuit noire t’a permis de découvrir.
ROMÉO.

— Madame, je jure par cette lune sacrée — qui argente toutes ces cimes chargées de fruits !…

JULIETTE.

— Oh ! ne jure pas par la lune, l’inconstante lune — dont le disque change chaque mois, — de peur que ton amour ne devienne aussi variable !

ROMÉO.

— Par quoi dois-je jurer ?

JULIETTE.

Ne jure pas du tout ; — ou, si tu le veux, jure par ton gracieux être (75), — qui est le dieu de mon idolâtrie, — et je te croirai.

ROMÉO.

Si l’amour profond de mon cœur…

JULIETTE.

— Ah ! ne jure pas (76) ! Quoique tu fasses ma joie, — je ne puis goûter cette nuit toutes les joies de notre rapprochement ; — il est trop brusque, trop imprévu, trop subit, — trop semblable à l’éclair qui a cessé d’être — avant qu’on ait pu dire : il brille !… Doux ami, bonne nuit ! — Ce bouton d’amour, mûri par l’haleine de l’été, — pourra devenir une belle fleur, à notre prochaine entrevue… — Bonne nuit, bonne nuit ! Puisse le repos, puisse le calme délicieux — qui est dans mon sein, arriver à ton cœur !