Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 7.djvu/120

Cette page a été validée par deux contributeurs.
116
ANTOINE ET CLÉOPATRE.
allé aussi contempler Cléopâtre — et aurait fait une brèche à la nature (8) !
AGRIPPA.

La rare Égyptienne !

ÉNOBARBUS.

— Quand elle fut descendue en terre, Antoine l’envoya — convier à souper. Elle répliqua — qu’il valait mieux qu’il fût son hôte, — et le décida. Notre courtois Antoine, — à qui jamais femme n’a entendu dire le mot non, — se fait raser dix fois, va au festin, — et, pour écot, donne son cœur — en payement de ce que ses yeux ont dévoré.

AGRIPPA.

Royale gourgandine ! — elle a forcé le grand César à mettre son épée au lit ; — il l’a labourée, et elle a porté moisson.

ÉNOBARBUS.

Je l’ai vue une fois — dans la rue sauter quarante pas à cloche-pied : — ayant perdu haleine, elle voulut parler et s’arrêta palpitante, — si gracieuse qu’elle faisait d’une défaillance une beauté, — et qu’à bout de respiration, elle respirait le charme.

MÉCÈNE.

— Maintenant, voilà Antoine obligé de la quitter absolument.

ÉNOBARBUS.

— Jamais ! il ne la quittera pas. — L’âge ne saurait flétrir, ni l’habitude épuiser — sa variété infinie. Les autres femmes — rassasient les appétits qu’elles nourrissent ; mais elle, plus elle satisfait, — plus elle affame. Car les choses les plus immondes — séduisent en elle au point que les prêtres saints — la bénissent, quand elle se prostitue !