Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 5.djvu/435

Cette page a été validée par deux contributeurs.
431
EXTRAIT DU DÉCAMÉRON DE BOCCACE.

lerais si amplement comme je fais, si je n’en avais fait beaucoup de fois la preuve avec plusieurs femmes ; et si je dis davantage que, si j’étais auprès de cette tienne femme, et si sainte comme tu la fais, je penserais la conduire bientôt à ce que j’ai autrefois conduit des autres.

Bernard fâché répondit :

— Le débattre par parole pourrait trop durer ; car je parlerais et tu y contredirais, et à la fin tout cela ne monterait à rien ; mais puisque tu dis que toutes sont ainsi pitoyables et que tu es si grand, je suis content, afin que je te rende certain de l’honnêteté de ma femme, qu’on me tranche la tête, si jamais tu la peux conduire à tel acte de chose qui te plaise ; et si tu ne le peux faire, je ne veux que tu perdes autre chose que mille ducats d’or.

Ambroise, déjà échauffé en ce propos, répondit :

— Bernard, je ne sais ce que je ferais de ta tête, si j’avais gagné la gageure ; mais, si tu as volonté de voir la preuve de ceci que j’ai dit, mets cinq mille ducats d’or des tiens, qui te doivent être moins que ta tête, contre mille des miens ; et là où tu ne me limites aucun terme, je me veux obliger d’aller à Gênes, et dedans trois mois du jour que je partirai d’ici, avoir fait ma volonté de ta femme, et pour témoignage de ce en apporter avec moi de ses plus précieuses choses, et tels et si grands indices que toi-même confesseras qu’il sera vrai : pourvu que tu me promettes sur ta foi que tu ne viendras cependant à Gênes et que tu ne lui écriras aucune chose de cette matière.

Bernard dit qu’il était content ; et combien que les autres marchands qui étaient là s’essayassent de détourner cette gageure, connaissant qu’il en pouvait advenir grand mal, toutefois la colère des deux marchands était si allumée que, malgré que les autres en eussent, ils