Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 5.djvu/270

Cette page a été validée par deux contributeurs.
266
OTHELLO.

RODERIGO.

Iago !

IAGO.

Que dis-tu, noble cœur ?

RODERIGO.

Que crois-tu que je vais faire ?

IAGO.

Pardieu ! te coucher et dormir.

RODERIGO.

Je vais incontinent me noyer.

IAGO.

Si tu le fais, je ne t’aimerai plus après. Niais que tu es !

RODERIGO.

La niaiserie est de vivre quand la vie est un tourment. Nous avons pour prescription de mourir quand la mort est notre médecin.

IAGO.

Oh ! Le lâche !… Voilà quatre fois sept ans que je considère le monde ; et, depuis que je peux distinguer un bienfait d’une injure, je n’ai jamais trouvé un homme qui sût s’aimer. Avant de pouvoir dire que je vais me noyer pour l’amour de quelque guenon, je consens à être changé en babouin.

RODERIGO.

Que faire ? J’avoue ma honte d’être ainsi épris ; mais il ne dépend pas de ma vertu d’y remédier.

IAGO.

Ta vertu pour une figue ! Il dépend de nous-mêmes d’être d’une façon ou d’une autre. Notre corps est notre jardin, et notre volonté en est le jardinier. Voulons-nous y cultiver des orties ou y semer la laitue, y planter l’hysope et en sarcler le thym, le garnir d’une seule espèce d’herbe ou d’un choix varié, le stériliser par la paresse ou l’engraisser par l’industrie ? Eh bien ! Le pouvoir