Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 5.djvu/266

Cette page a été validée par deux contributeurs.
262
OTHELLO.
— que je t’aurais, si tu ne le possédais déjà, refusé — de tout mon cœur.
À Desdémona.

Grâce à toi, mon bijou, — je suis heureux dans l’âme de n’avoir pas d’autres enfants ; — car ton escapade m’eût appris à les tyranniser — et à les tenir à l’attache… J’ai fini, monseigneur.

LE DOGE.

— Laissez-moi parler à votre place, et placer une maxime — qui serve à ces amants de degré, de marchepied — pour remonter à votre faveur. — Une fois irrémédiables, les maux sont terminés — par la vue du pire qui put nous inquiéter naguère. — Gémir sur un malheur passé et disparu — est le plus sûr moyen d’attirer un nouveau malheur. — Lorsque la fortune nous prend ce que nous ne pouvons garder, — la patience rend son injure dérisoire. — Le volé qui sourit dérobe quelque chose au voleur. — C’est se voler soi-même que dépenser une douleur inutile.

BRABANTIO.

— Ainsi, que le Turc nous vole Chypre ! — nous n’aurons rien perdu, tant que nous pourrons sourire ! — Il reçoit bien les conseils, celui qui ne reçoit — en les écoutant qu’un soulagement superflu. — Mais celui-là reçoit une peine en même temps qu’un conseil, — qui n’est quitte avec le chagrin qu’en empruntant à la pauvre patience. — Ces sentences, tout sucre ou tout fiel, — ont une puissance fort équivoque. — Les mots ne sont que des mots, et je n’ai jamais ouï dire — que dans un cœur meurtri on pénétrât par l’oreille… — Je vous en prie humblement, procédons aux affaires de l’État.

LE DOGE.

Le Turc se porte sur Chypre avec un armement considérable. Othello, les ressources de cette place sont con-