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INTRODUCTION.

jour-là, et messire Raoul se baignera avec madame.

Cette idée fort goûtée du chevalier, est mise à exécution. Le jeudi, tous les domestiques ayant été congédiés, madame se mit au bain, aussi nue que la chaste Suzanne, et Raoul, prévenu par la vieille, s’introduisit dans la chambre. Grande fut la colère de Jehanne en reconnaissant cet intrus. — Messire Raoul, vous n’êtes mie courtois. — Madame, pour Dieu mierchi ! Je meurs pour vous de douleur ! Pour Dieu, ayez pitié de moi ! Jehanne, de plus en plus furieuse, menace de s’aller plaindre à son père et ordonne à Raoul de sortir. Mais l’insolent redouble d’audace : il s’avance vers Jehanne, la prend dans ses bras, la tire de la baignoire et l’entraîne vers le lit. Ici une lutte indescriptible s’engage. Heureusement, au moment critique, les éperons du chevalier se prennent dans les cordons du lit ; accroché par les pieds, il tombe à la renverse, entraînant sa victime dans sa chute ; mais Jehanne parvient à se dégager de son étreinte ; elle se redresse exaspérée, empoigne une bûche et en frappe le misérable à la tête. Raoul, grièvement blessé, parvient à sortir de la chambre ; il s’esquive. Jehanne est sauvée, croyez-vous ? Hélas, non. Dans la lutte qu’il a soutenue contre elle, le chevalier a eu le temps de remarquer sur sa personne certain signe qu’il n’oubliera pas.

Le dimanche suivant, Robert revient de Saint-Jacques, ayant accompli son pèlerinage, et se hâte de réclamer auprès de Jehanne ses priviléges d’époux. « Quand vint la nuit, messire Robert alla coucher avec sa femme ; et elle le reçut molt joyeusement, comme bonne dame doit faire à son seigneur. » Le lendemain matin, on annonce l’arrivée de Raoul. Sans doute, se dit Robert, il vient me livrer sa terre ayant perdu la gageure. Mais Raoul entre triomphant. Il prend Robert à part et lui déclare que c’est lui, Raoul, qui a gagné le pari. Robert se récrie