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SCÈNE XV.
m’éveiller d’un cri moi-même ? Est-ce là être infidèle à son lit ? — Voyons !
PISANIO.

Hélas ! noble femme !

IMOGÈNE.

Moi, infidèle !… J’en appelle à ta conscience, Iachimo. — Quand tu l’accusas, lui, d’impudeur, — tu me fis l’effet d’un misérable : mais maintenant — tes traits m’ont l’air honnête… Quelque impure Italienne, — fille du fard qui la peint, l’aura séduit : — et moi, pauvre rebutée, je suis une parure hors de mode, — trop riche encore pour être accrochée au mur, — et qu’il faut découdre… En morceaux, Imogène !… Oh ! — les serments des hommes sont les trahisseurs des femmes ! — Les plus vertueux dehors, — après ta trahison, ô mon époux ! passeront — pour une apparence hypocrite qui n’est pas naturelle là où elle est, — mais qu’on revêt pour amorcer les femmes !

PISANIO.

Bonne madame, écoutez-moi !

IMOGÈNE.

— Après la perfidie d’Énée, les hommes vraiment sincères — furent, de son temps, réputés perfides ; les pleurs de Sinon — ont calomnié bien des larmes saintes et détourné la pitié — des plus réelles misères. De même, toi, Posthumus, — tu couvriras de ton levain les hommes les plus purs : — les loyaux et les preux passeront pour perfides et pour parjures, — à dater de ta grande faute… Allons, l’ami ! sois fidèle, toi : — fais ce que dit ton maître, et, quand tu le verras, — rends du moins justice à mon obéissance.

Elle tire du fourreau l’épée de Pisanio et la lui offre.

Vois, — je tire moi-même ton épée ; prends-la, et frappe — ici, au cœur, cette innocente demeure de mon