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CYMBELINE.
mon intègre honneur, jurèrent à Cymbeline — que j’étais ligué avec les Romains. De là — mon bannissement ; et, depuis vingt ans, — ce roc et ces solitudes ont été mon univers ; — j’y ai vécu dans l’honnêteté et la liberté, et j’y ai payé — au ciel plus de dettes pieuses que dans toute ma vie passée. Mais, vite à la montagne ! — Ceci n’est pas un entretien de chasseurs ! Celui qui abattra — le premier gibier sera le roi de la fête ; — les deux autres le serviront ; — et nous n’aurons pas peur du poison qui est d’étiquette — en plus haut lieu… Je vous rejoindrai dans les vallées.
Guidérius et Arviragus s’en vont.
BÉLARIUS, seul.

— Comme il est difficile d’étouffer les étincelles de la nature ! — Ces garçons-là ne se doutent guère qu’ils sont les fils du roi, — et Cymbeline ne songe pas même qu’ils sont vivants ! — Ils se croient mes enfants : et, bien qu’élevés ainsi, humblement, — dans une caverne où ils se courbent, leurs pensées heurtent — les toits des palais, et la nature leur inspire, — dans les choses les plus simples, les plus triviales, je ne sais quoi de princier — qui dépasse la mine des autres. Voilà Polydore, — l’héritier de Cymbeline et de la Bretagne, celui que — le roi son père appelait Guidérius. Par Jupin ! — quand je m’asseois sur mon escabeau à trois pieds et que je raconte — mes faits de guerre, ses esprits volent — sur mes lèvres. Si je dis : Ainsi mon ennemi tomba, — et ainsi je mis mon pied sur son cou, aussitôt — le sang royal lui afflue aux joues, il est en sueur, — il roidit ses jeunes nerfs et se met dans la posture — qui mime ma narration. Son jeune frère, Cadwal, — jadis Arviragus, dans une attitude analogue, — ajoute à mon récit une animation qui révèle plus encore — sa propre pensée… Écoutez ! ils lèvent le gibier !… Ô Cymbeline, le ciel et ma conscience