Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 4.djvu/86

Cette page a été validée par deux contributeurs.
82
TROYLUS ET CRESSIDA.

— ainsi doublement secondé par la volonté et par la puissance, — fait nécessairement sa proie de l’univers — et finit par se dévorer lui-même. Grand Agamemnon, voilà, quand la hiérarchie est suffoquée, — le chaos qui suit son étouffement. — Cette négligence des degrés — produit une déchéance là même où elle essaie — une escalade. Le général est méprisé — par celui qui prend rang après lui ; celui-ci, par le suivant ; — le suivant, par celui d’au-dessous. C’est ainsi que tous les grades, — prenant exemple sur le premier qu’a mis en dégoût — son supérieur, gagnent à l’envi la fièvre — d’une pâle et livide jalousie. — C’est cette fièvre-là qui maintient Troie debout, — et non sa propre énergie. Pour finir ce long discours, — Troie subsiste par notre faiblesse, et non par sa force.

NESTOR.

— Ulysse vient de découvrir sagement — la fièvre dont toute notre armée est atteinte.

AGAMEMNON.

— La nature du mal étant trouvée, Ulysse, — quel est le remède ?

ULYSSE.

— Le grand Achille, que l’opinion sacre — le nerf et le bras droit de notre armée, — ayant l’oreille rassasiée de sa renommée aérienne, — devient difficile pour son mérite et reste dans sa tente — à narguer nos desseins. Près de lui, Patrocle, — couché sur un lit de paresse, éclate toute la journée — en moqueuses saillies, — et, par une pantomime ridicule et grotesque, — qu’il appelle imitation, le calomniateur ! — il nous parodie tous. Parfois, grand Agamemnon, — il revêt ton mandat suprême, — et, se carrant comme un acteur dont tout le talent — est dans le jarret, et qui trouve sublime — d’entamer un dialogue avec les planches en faisant résonner — le tréteau sous l’effort de son pied, —