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TROYLUS ET CRESSIDA.
vertu, était agité aujourd’hui. — Il a grondé Andromaque, et frappé son écuyer ; — puis, montrant pour le combat un zèle de ménagère, — avant le lever du soleil, il s’est équipé légèrement — et élancé dans la plaine, où toutes les fleurs, — couvertes encore de larmes prophétiques, pleuraient d’avance — les effets de sa fureur.
CRESSIDA.

Quelle est la cause de sa colère ?

ALEXANDRE.

— Voici le bruit qui court : il y a parmi les Grecs — un seigneur du sang troyen, un neveu d’Hector ; — on l’appelle Ajax.

CRESSIDA.

Eh bien ! après ?

ALEXANDRE.

— On dit que c’est un homme à part, — et qui sait bien se tenir. —

CRESSIDA.

Comme tous les hommes qui ne sont ni ivres, ni malades, ni culs-de-jatte.

ALEXANDRE.

Cet homme, madame, a volé à bien des animaux leurs qualités distinctives. Il est vaillant comme le lion, âpre comme l’ours, lent comme l’éléphant : c’est un homme en qui la nature a tellement mélangé ses tempéraments que sa valeur est farcie de folie, et sa folie assaisonnée de sagesse. Il n’est pas une vertu dont il n’ait un reflet ; pas un vice dont il ne porte une éclaboussure. Il est triste sans raison et gai à contre-poil. Il a toutes sortes d’articulations, mais toutes si désarticulées, que c’est un Briarée goutteux, ayant cent bras et ne s’en servant pas, ou un Argus myope, ayant cent yeux et n’y voyant goutte.