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LE ROMAN DE TROYLUS.

mander pardon. » Puis l’embrassa et baisa doucement, ni de ce lieu ne se partirent que mille fois ne s’entre-accolassent. Comme il eût recueilli sa joie, ils montèrent l’échelle et s’en entrèrent en la chambre. Longue chose serait à raconter la fête est impossible à dire le plaisir qu’ils prirent ensemble dès qu’ils furent en la chambre. Un peu après, tous deux d’un accord s’en allèrent mettre au lit. Mais la belle ne dépouilla sa chemise et à Troylus dit en jouant : « Mon ami, vous savez bien, les nouvelles mariées sont honteuses la première nuit. » À qui Troylus dit : « Je vous prie, la joie de mon cœur, que vous aie toute nue entre mes bras, car c’est chose au monde que plus je désire. » Et alors elle lui dit : « Et voici, mon ami, pour l’amour de vous. » Si se dépouilla sa chemise et s’alla jeter entre ses bras, lequel doucement la recueillit, et l’un l’autre baisant et accollant avec grande ferveur sentirent le dernier et parfait bien d’amour. Et toute cette nuit ne issirent des bras l’un de l’autre, mais incessamment s’entre-accolaient et baisaient, et encore doutaient-ils qu’ils fussent l’un à l’autre, ou qu’il ne fût pas vrai qu’ils se tinssent embrassés comme ils faisaient et que ce fût songe. Et souventes fois s’entredemandaient : « Est-il vrai que vous tiens ici entre mes bras, et si c’est songe ?… » — Mais puisque le jour s’approcha et que l’aube commença à venir, les coqs commencèrent à chanter. Et incontinent que Brisaïda eut entendu les chants des coqs, dolente et malcontente dit : Hélas ! ma douce amour, est venue l’heure qu’il nous faut lever, si bien nous voulons celer ; mais encore vous veux-je un peu accoler avant que vous vous leviez, afin que je sente moins de douleur à la départie. Or, embrassez-moi, m’amour, mon bien et mon espérance. Troylus l’embrassa, et peut s’en fallut qu’il ne pleurât. Et elle le laissa en soupirant moult