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LES JALOUX.

roi de Bohême était obligé de quitter son hôte pour s’occuper des affaires publiques, Bellaria accourait, et vite elle emmenait Egistus dans le jardin où tous deux avaient, sous les ombrages, un long tête à tête. Le soir venu, quand le roi de Sicile était retiré dans ses appartements, la reine allait souvent dans la chambre à coucher d’Egistus pour voir s’il n’avait besoin de rien. En voyant se prolonger une familiarité si intime, le roi de Bohême finit par concevoir quelques soupçons : et, malgré l’étonnement de l’auteur qui va jusqu’à s’en indigner, j’avoue que cela n’avait rien d’extraordinaire. Il n’est pas mari, si bonasse qu’il soit, qui ne finirait par s’inquiéter, en voyant sa femme s’insinuer fréquemment dans la chambre à coucher d’un jeune homme. Pandosto devint donc d’une humeur massacrante : Egistus et Bellaria s’étonnaient de ce changement de caractère et continuaient de s’enfermer ensemble, probablement pour en deviner la cause. Le roi de Bohême finit par se persuader qu’il était en pleine Cornouaille ; fort irrité d’un changement de résidence auquel il n’avait pas donné son consentement, il résolut de se venger, et pria secrètement un certain Franion, qui remplissait auprès d’Egistus la charge d’échanson, de verser dans la coupe du roi de Sicile quelques gouttes d’une liqueur qui l’endormirait pour toujours. Franion risqua bien quelques objections à cette proposition incongrue ; mais, comme Pandosto s’entêtait et le menaçait lui-même de mort, il consentit à se charger de l’affaire. Toutefois, au moment de verser la liqueur, il fut pris d’un beau scrupule, et, au lieu d’empoisonner Egistus, il lui révéla tout le complot. On conçoit aisément la frayeur dont fut saisi ce pauvre roi de Sicile ; il se résolut à déguerpir au plus vite, et, sans tambour ni trompette, guidé par Franion, qu’il avait engagé à son service, il regagna bien vite sa bonne