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INTRODUCTION.

ries. Il lui crie, en présence de toute l’armée, que Briseïda n’est qu’une fille à courte foi qui le trompera, lui, Diomedes, comme elle l’a trompé, lui, Troylus, et il l’engage fortement à faire le guet auprès d’elle, s’il ne veut pas que tous les gardes du camp s’en soûlent. En apprenant que Dyomedes est revenu grièvement blessé, Briseïda témoigne l’émotion la plus vive ; elle a des larmes dans les yeux et dans la voix. Que faire ? Ira-t-elle ouvertement dans la tente de Dyomedes pour soigner le blessé ? La malheureuse ne se dissimule pas la gravité de cette démarche publique. Les dames vont en dire de belles sur son compte ! Elle sera la honte des demoiselles ! le monde la méprisera ! Mais, après tout, est-ce sa faute ? Si on ne l’avait pas forcée à quitter Troie, cela ne serait pas arrivé, elle serait restée fidèle à Troylus ; mais ici, nouvelle venue dans le camp grec, elle n’a pas un ami, pas un cœur à qui se fier ; son chagrin d’avoir quitté Troylus est tel, qu’elle mourrait, si elle ne cherchait à s’en distraire ; c’est justement parce qu’elle aime Troylus, qu’elle est contrainte de le tromper ! Après ce monologue tout féminin, Briseïda se décide ; elle se rend dans la tente de Dyomedes, et, tandis qu’elle veille sur son second amant, Troylus est tué par Achille.

Ainsi finit l’histoire romanesque que Benoist de Saint-Maur avait improvisée pour faire trêve aux luttes épiques des Grecs et des Troyens. Ce récit, intercalé sans façon dans l’Iliade, eut un succès immense auprès du public normand qui écoutait le trouvère ; il fut vite populaire parmi toutes les nations qui comprenaient le patois d’Oil, et il ne tarda pas à le devenir dans les contrées plus méridionales où se parlait la langue d’Oc. Les amours de Troylus et de Briseïda furent bientôt regardées par les générations du Moyen Âge comme aussi authentiques que les amours même d’Hélène et de Pâris.