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LES JALOUX.

bles Turcs. C’est un vaillant dont l’âme est mieux trempée que son épée : il a coudoyé la mort dans cent assauts, il a subi la servitude, il a, sans frémir, fait visite aux anthropophages, et voyagé dans ces parages fantastiques où les hommes ont la forme des monstres. Certes, s’il est un mortel à l’épreuve de la jalousie, c’est Othello. Othello, jaloux ! Est-ce que cela est possible ? Le beau soleil sous lequel il est né l’a purgé pour toujours de cette humeur-là ! — Pourtant, qu’Iago lui raconte seulement certain rêve qu’il n’a pas fait, que Desdemona égare son mouchoir, et ce capitaine perdra sa bravoure, et ce vaillant perdra son honneur. Adieu le contentement ! adieu les troupes empanachées et les grandes guerres qui font de l’ambition une vertu ! adieu le coursier hennissant, et la stridente trompette, et le martial tambour, et le fifre étourdissant ! la besogne d’Othello est finie. Et bientôt, de l’âme du soldat, Othello ne gardera plus que l’instinct du bandit. Il fera faire à son épée le lâche métier du poignard, et il attendra, pour étouffer sa femme, qu’elle soit endormie !

Troylus, Claudio, Léonte, Posthumus, Othello ! La noblesse, la grâce, la majesté, la loyauté, le génie ! Ce que la société offrait de plus accompli et de plus illustre ! Le monde les admirait, la civilisation les citait, l’humanité les vantait. Eh bien, l’auteur tout-puissant a dit au démon du soupçon : tente-les ! et le démon les a éprouvés ; et, après l’épreuve, cette élite du monde n’a plus été qu’un tas d’hommes qui font pitié.

Ah ! si ceux-là ont succombé, qui donc résisterait ? Pour nous empêcher d’être jaloux, il faudrait d’abord nous empêcher d’aimer. La jalousie est la maladie charnelle de l’amour ; elle est le virus terrestre de la tendresse divine. Voyez-vous ce jeune homme : il ne dort plus, il se tord sur son lit, il mord son oreiller, il ne mange