Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1866, tome 3.djvu/469

Cette page a été validée par deux contributeurs.
465
NOTES.

ARTHUR.

— Hubert, si jamais Arthur recouvre sa puissance, — tu seras récompensé du bienfait que je reçois de toi : — je t’avais livré ma vue, — tu me la rends, je ne serai pas ingrat. — Mais maintenant tout délai peut compromettre — l’issue de ta bonne entreprise. — Partons, Hubert, pour prévenir de plus grands malheurs.

Ils sortent.

(37) Cette scène célèbre où le roi Jean s’emporte contre Hubert et lui reproche d’avoir pris une boutade pour un ordre en mettant à mort le prisonnier Arthur, a rappelé à plusieurs commentateurs une autre scène historique qui eut lieu après l’exécution de Marie Stuart. On sait, en effet, que la reine d’Écosse fut décapitée le 8 février 1587, dans le château de Fotheringay, en vertu d’un warrant, signé Élisabeth, que le secrétaire d’État Davison reçut ordre de porter. Quand la tête de Marie fut tombée, la reine d’Angleterre, craignant sans doute la colère des cours continentales, feignit le plus grand désespoir et affecta de rejeter sur Davison toute la responsabilité de cet assassinat juridique. Elle accabla le trop fidèle ministre d’invectives, et lui fit justement ce reproche d’excès de zèle que le roi Jean adresse ici à Hubert.

Ce rapprochement, s’il était fondé, nous aiderait à éclairer certains côtés restés obscurs du drame de Shakespeare. Si la mort d’Arthur n’était, dans la pensée du poëte, que le symbole de la mort de Marie Stuart, le roi Jean devrait être regardé comme la personnification d’Élisabeth. Et alors tous les incidents de la pièce seraient autant d’allusions aux événements contemporains. Pandolphe excommuniant le roi Jean, ce serait le pape lançant contre la reine Élisabeth la bulle d’anathème. Le ridicule duc d’Autriche tué par le sympathique Bâtard, ce serait Philippe II vaincu par le peuple anglais. Le roi de France Philippe, soutenant et reniant tour à tour la cause d’Arthur, ce serait Henri III soutenant et abandonnant successivement la cause de Marie Stuart. L’alliance proposée entre la nièce du roi Jean et le dauphin, fils de Philippe-Auguste, ce serait le mariage projeté entre le duc d’Anjou, frère d’Henri III, et Élisabeth. La révolte des comtes de Pembroke et de Salisbury, faisant cause commune avec l’étranger pour châtier l’assassin d’Arthur, ce serait, par allégorie, la rébellion du duc de Suffolk et du comte de Northumberland s’alliant avec les cours catholiques pour délivrer Marie Stuart. Enfin, les envahisseurs, chassés du territoire par le Bâtard, ce serait l’armada espagnole repoussée par la nation anglaise ; et la magnifique apostrophe qui termine la pièce serait le cri de victoire poussé par le poëte patriote.