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poignée vers ma main ? Viens, que je te saisisse ! — Je ne te tiens pas, et pourtant je te vois toujours. — N’es-tu pas, vision fatale, sensible — au toucher, comme à la vue ? ou n’es-tu — qu’un poignard imaginaire, fausse création — émanée d’un cerveau en feu ? — Je te vois pourtant, aussi palpable en apparence — que celui que je tire en ce moment. — Tu m’indiques le chemin que j’allais prendre, — et tu es bien l’instrument que j’allais employer. — Ou mes yeux sont les jouets de mes autres sens, — ou seuls ils les valent tous. Je te vois toujours, — et, sur ta lame et sur ton manche, des gouttes de sang — qui n’y étaient pas tout à l’heure… Mais non, rien de pareil ! — C’est cette sanglante affaire qui prend forme — ainsi à ma vue… Maintenant, sur la moitié de ce monde, — la nature semble morte, et les mauvais rêves abusent — le sommeil sous ses rideaux ; maintenant la sorcellerie offre — ses sacrifices à la pâle Hécate ; et le meurtre hâve, — éveillé en sursaut par le loup, sa sentinelle, — dont le hurlement est son cri d’alerte, s’avance ainsi d’un pas furtif, — avec les allures du ravisseur Tarquin, et marche — à son projet, comme un spectre… Toi, terre solide et ferme, — n’entends point mes pas, quelque chemin qu’ils prennent, de peur que — tes pierres mêmes ne jasent de mon approche, — et ne retirent à ce moment la muette horreur — qui lui va si bien !… Tandis que je menace, l’autre vit. — Les mots jettent un souffle trop froid sur le feu de l’action.
La cloche sonne.

— J’y vais, et c’est fait ; la cloche m’invite. — Ne l’entends pas, Duncan, car c’est le glas — qui t’appelle au ciel ou en enfer.

Il sort.