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dant dix ans ; et celui que, cinq cents ans plus tard, Cuvier devait proclamer homme de génie, meurt en disant : J’ai trop aimé la science ! Au quatorzième siècle, Pietro d’Apono, cet encyclopédiste qui, dit Gabriel Naudé, s’était « acquis la cognoissance des sept arts libéraux par le moyen de sept esprits familiers enfermés dans un cristal, » expire dans un cachot à l’âge de quatre-vingts ans, et son cadavre est livré aux flammes. Dans le même siècle, Raymond Lulle, l’ami d’Édouard IV, va de désespoir se faire tuer en Afrique. Au quinzième siècle, l’Allemand Faust, qui doit à son génie la découverte de l’imprimerie, est confondu avec les sorciers, et n’échappe que par miracle au bûcher de la place de Grève. Au seizième siècle, Cornélius Agrippa, le médecin de Louise de Savoie, finit à l’hôpital de Grenoble, et son convoi funèbre n’est suivi que par deux chiens que la terreur populaire transforme en esprits malins. À la même époque, Paracelse, ce bienfaiteur de l’humanité qui révèle à l’Europe ces deux spécifiques, le mercure et l’opium, expire sur un grabat, à l’hospice de Salzbourg !

Le dernier de ces martyrs de la cabale, Shakespeare l’a connu ; il l’a visité peut-être dans le laboratoire de Morlake. C’est le protégé de la reine Élisabeth et de milord Leicester, c’est l’enchanteur John Dee. John Dee est probablement le type primitif de cet infatigable alchimiste que Balzac nous montre dans la Recherche de l’absolu. Ce héros de la science sacrifie tout, lui aussi, à la découverte du grand secret : il jette dans le creuset sans fond sa petite fortune, la dot de sa femme, l’héritage de ses enfants, sa réputation, son honneur.

Guidé par un certain Kelly, John Dee avait, paraît-il, trouvé une certaine quantité de l’élixir magique dans les ruines de l’abbaye de Glassenburg. Avec cet élixir, les deux associés purent changer un poêlon de cuivre en