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sespoir ! ô vanité des calculs humains ! le vent tourne à l’ouest. Le vent d’ouest, ce damné vent d’ouest qui a déjà repoussé deux fois la marine danoise, revient à la charge pour la troisième fois. Et cette fois-là, comme vous savez, est la bonne. Ce n’est plus une tempête, c’est un ouragan. La rafale est irrésistible. Tous les navires subissent des avaries effroyables ; mais le plus endommagé est sans contredit le vaisseau amiral. Il semble que c’est à lui surtout que les éléments en veulent. Toutes ses voiles sont déchirées. Son grand mât est brisé. Secouée par le roulis, une énorme pièce de canon brise les chaînes qui la fixent aux sabords : elle roule sur le pont jusqu’aux pieds de la reine, et ne s’arrête qu’après avoir écrasé huit matelots. Enfin, une voie d’eau se déclare. L’amiral, effrayé, fait des signaux de détresse, mais, pour comble de malheur, son escorte a disparu de l’horizon. Comme le navire qui porte le roi de Naples dans la pièce de Shakespeare, le vaisseau qui porte la reine d’Écosse a été séparé par quelque invisible Ariel du reste de l’escadre royale. Il est isolé, désemparé, et c’est à peine si, grâce au jeu continuel des pompes, il peut atteindre la rive de Norwége, tandis que les autres bâtiments dispersés se rallient sur les côtes de Danemark.

Cette épouvantable tourmente avait commencé le 29 septembre, jour de la Saint-Michel. Ce même jour-là, la première dame d’honneur de la reine, lady Melville, s’étant mise en route pour obéir aux ordres du roi, traversait en bateau la passe du Leith, lorsqu’un navire chassé par le vent prit la barque en travers et la fit chavirer. Lady Melville ne savait pas nager. Elle se noya, ainsi que deux domestiques de son beau-frère, sir James Melville. — Cette catastrophe éclaircit d’une manière sinistre les malheurs de la flotte danoise. Selon la justice infaillible d’alors, il devenait évident que la monarchie