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le fardeau ou la gloire de la terre, c’est surtout lui qui s’aperçoit du changement. Il remarque dans son être la rénovation graduelle, et il étudie chaque mouvement du progrès dans son âme.

» Là où les ténèbres de la longue nuit polaire pesaient sur des rocs vêtus de neige et sur un sol gelé, et où l’herbe la plus hardie qui pût braver le givre se chauffait à la clarté inefficace de la lune, là, l’homme était rabougri comme la plante et sombre comme la nuit ; son énergie, glacée et chétive, son cœur, insensible au courage, à l’honneur, à l’amour, sa stature nouée et sa constitution débile le signalaient comme quelque avorton de la terre, compagnon naturel des ours qui erraient aux environs et dont il avait les habitudes comme les plaisirs. Sa vie était le rêve fiévreux d’une infortune stagnante, dont les maigres besoins, chichement satisfaits, lui rappelaient sans cesse la sinistre longévité, atteinte par la misère de sa courte existence. Sa mort était une convulsion que la famine, le froid et l’épuisement avaient depuis longtemps produite dans son âme, quand l’étincelle vitale était encore obstinément attachée à son corps. Là, il subissait tout ce que la rancune de la terre peut infliger aux violateurs de ses lois ; et une imprécation seule lui était permise, le nom de Dieu !

» Et là même où les tropiques fermaient l’empire du jour par une ceinture de nuages enflammés, là où les brumes bleuâtres jetaient à travers l’atmosphère immobile les semences de la peste et nourrissaient une végétation contre nature ; là où la terre était pleine d’éruptions, de tempêtes et de maladies, — l’homme n’était pas une créature plus noble. La servitude l’écrasait dans la poussière sanglante de sa patrie ; ou bien il était acheté pour la plus grande gloire de cette puissance qui, détruisant toutes les impulsions intimes, faisait de la vo-