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compagnon de servitude, pour lui. Tout cela, elle l’acceptait de lui d’un air paisible et doux.

» Mais, après quelque temps, dès qu’elle vit le moment favorable pour quitter cette demeure solitaire, elle songea à s’évader secrètement, pour prévenir le mal qui, à ce qu’elle prévoyait, pouvait lui être fait par la sorcière ou par son fils, et remis le fier harnais en cachette à son palefroi impatient, bien rétabli maintenant par une longue pâture, et tout prêt à remesurer ses récentes courses aventureuses.

» Puis, de bonne heure, avant que l’aube eût paru, elle sortit et se mit en route. Elle partit à tout risque, effrayée du moindre bruit et de chaque ombre qui se présentait. Car elle craignait toujours d’être rattrapée par l’affreuse sorcière ou par son fils malappris. Dès que ceux-ci, trop tard éveillés, reconnurent que leur belle visiteuse était partie, ils se mirent à pousser des gémissements excessifs, comme s’ils étaient perdus[1]. »

(19) On sait, par les récits du voyage d’Hackluyt, que Setebos, dieu de la sorcière Sycorax, était aussi le dieu des Patagons, qui l’ornaient dans leurs temples de cornes diaboliques.

(20) Allusion à Amphion.

(21) Voici certainement un des faits les plus curieux de l’histoire littéraire : Shakespeare traduisant Montaigne ! Ouvrez les Essais, et lisez, dans le premier livre, l’admirable chapitre intitulé : Des Cannibales. Montaigne veut donner aux Français du seizième siècle une leçon de modestie, et leur prouver que les peuples primitifs de l’Amérique, qualifiés par ceux-ci de sauvages, sont, après tout, beaucoup plus civilisés qu’eux. « Les lois naturelles, dit-il, commandent encores à ces peuples, mais c’est en telle pureté, qu’il me prend quelquefois desplaisir de quoy la cognoissance n’en soit venue plus tost, du temps qu’il y avoit des hommes qui en eussent sçeu mieux juger que nous ; il me desplait que Lycurgue et Platon ne l’ayent eue ; car il me semble que ce que nous voyons par expérience en ces nations-là surpasse non-seulement toutes les peinctures de quoy la poësie a embelly l’aage doré, et toutes ses inventions

  1. La Reine des Fées, liv. III, chant vii.