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les côtes de la Virginie ; mais le vaisseau amiral, quoique tout neuf et de beaucoup le plus solide, fit eau. Il fallut un effort incessant de tout l’équipage pour l’empêcher de couler. Nonobstant le jeu continuel des pompes, l’eau finit par remplir la cale ; les hommes étaient épuisés, et un grand nombre d’entre eux, dans un accès de désespoir, s’abandonnèrent à la merci des vagues. Sir Georges Sommers, assis au gouvernail, voyant le navire perdu sans ressources, s’attendant à chaque instant à ce qu’il coulât bas, aperçut une terre que, d’accord avec le capitaine Newport, il jugea devoir être la terrible côte des Bermudes. Toutes les nations regardent, en effet, ces îles comme enchantées, et pensent qu’elles sont habitées par des sorciers et par des démons qui prospèrent là au milieu de tempêtes monstrueuses et de coups de tonnerre. En outre, la côte est si merveilleusement dangereuse avec ses rochers, que peu d’hommes peuvent l’aborder autrement que par le hasard inouï d’un naufrage. — Sir Georges Sommers, sir Thomas Gates, le capitaine Newport et le reste de l’équipage furent d’accord, entre deux maux, pour choisir le moindre. Et ainsi, dans une sorte de résolution désespérée, on gouverna droit sur ces îles. Grâce à la Providence divine, la marée étant haute, le navire courut droit entre deux rocs, entre lesquels il s’enfonça sans se briser. On eut ainsi le loisir de mettre un bateau à la mer. Tous, matelots et soldats, furent débarqués en sûreté. Une fois descendus à la côte, ils furent bien vite rétablis et reprirent courage, le sol étant très-fertile et la température très-délicate dans cette île. »

Malone constate victorieusement que, dans ce récit comme dans la pièce de Shakespeare, il est question d’un ouragan, d’un naufrage, des Bermudes, et d’une île enchantée ; et, comme l’aventure eut lieu en 1609, il conjecture que la pièce dut être jouée entre l’automne de 1610 et l’automne de 1611.

L’origine de la fable de La Tempête est restée aussi incertaine que la date de sa première représentation, et les patientes recherches faites à ce sujet par les érudits ont été jusqu’ici complètement infructueuses. Le commentateur Warton raconte qu’un M. Collins, étant devenu fou, lui dit avoir eu dans les mains et lu un roman italien dont les péripéties rappelaient exactement celles de la pièce. Ce roman, intitulé Amélie et Isabelle, aurait paru en 1588, et aurait été traduit en français et en anglais. On n’a jamais pu le retrouver ; mais Warton n’en affirme pas moins que l’idée de La Tempête a été prise dans une nouvelle italienne, et que, dans le trouble de la folie, sa mémoire lui faisant défaut, M. Collins a dit un titre pour un autre.