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laissé des fêtes offertes à Élisabeth par Leicester au château de Kenilworth pendant le mois de juillet 1575, il est fait mention d’une pièce mythologique qui fut représentée devant la reine sur l’étang que dominait alors le château. « Triton, sous les traits d’une sirène, » et « Arion, assis sur le dos d’un dauphin, » figurèrent dans cet intermède et chantèrent, en l’honneur de la royale visiteuse, une chanson composée par Leicester lui-même, et que Laneham trouve « incomparablement mélodieuse » (incomparably melodious). Élisabeth sut grand gré à son hôte de ce compliment poétique ; elle redoubla d’attentions et de prévenances envers lui, et accepta, dans le château du comte, une hospitalité de dix-huit jours. Cette faveur parut si grande, que toute la cour crut que la reine allait faire passer Leicester de la main gauche à la main droite et changer l’amant en mari. Ce qui confirma cette croyance, ce fut la rupture, alors décidée, des négociations pendantes pour le mariage de la reine avec le duc d’Alençon, frère du roi de France. — En même temps que ces bruits couraient, certains seigneurs, mieux informés que les autres, parlaient à mots couverts d’une intrigue que le tout-puissant favori avait, à ce moment-là même, avec une grande dame, la comtesse d’Essex. Un de ces seigneurs, plus audacieux que les autres, et qui, quoique vassal du comte, avait refusé de porter sa livrée, eut le courage de parler tout haut des relations adultères qu’il avait surprises, affirmait-il, entre Robert de Leicester et Lettice d’Essex. Ce gentilhomme portait le même nom que la mère de Shakespeare : il s’appelait Édouard Arden. Leicester se vengea plus tard de ses propos en le faisant pendre sous prétexte de conspiration catholique. Mais la dénonciation avait porté coup : la reine apprit l’infidélité de son amant, et renonça à l’idée de l’épouser. Le mariage d’Élisabeth et de Leicester, que toute la cour croyait certain, fut à jamais rompu, et à sa place eut lieu une autre union que nul ne soupçonnait, — le mariage de Leicester et de lady Essex. En effet, au moment où se donnaient les fêtes de Kenilworth, lord Essex existait encore. Mais quelque temps après, il était mort, empoisonné mystérieusement, et lady Essex, devenue veuve, devint lady Leicester.

S’il faut en croire une tradition séculaire, le récit qu’Obéron fait à Puck se rapporterait à ces événements. La sirène portée sur le dos d’un dauphin, que le roi des fées avait entendue, du haut d’un promontoire, proférer un chant si doux et si harmonieux, ne serait autre que la sirène dont parle Laneham, et qui, sur le lac de Kenilworth, chanta les vers dédiés par Leicester à Élisabeth. Le trait lancé par Cupidon sur la belle vestale qui trône à l’occident figurerait les