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sur Amleth, comme ravie en quelque grande contemplation, enfin l’accollant avec la même amitié qu’une mère vertueuse peut baiser et caresser sa portée, elle lui usa de ce langage :

« Je sais bien, mon fils, que je t’ai fait tort en souffrant le mariage de Fengon, pour être le cruel tyran et assassineur de ton père, et de mon loyal époux, mais quand tu considéreras le peu de moyens de résistance et la trahison de ceux du palais, le peu de fiance que nous pouvons avoir aux courtisans, tous faits à sa poste, et la force qu’il préparait, là où j’eusse fait refus de son alliance, tu m’excuseras plutôt que m’accuser de lubricité ni d’inconstance, et moins me feras ce tort que de soupçonner que jamais Géruthe ait consenti à la mort de son époux, te jurant par la haute majesté des dieux que, s’il eût été en ma puissance de résister au tyran, et qu’avec l’effusion de mon sang, et perte de ma vie, j’eusse pu sauver la vie de mon seigneur et époux, je l’eusse fait d’aussi bon cœur, comme depuis j’ai plusieurs fois donné empêchement à l’accourcissement de la tienne, laquelle t’étant ravie, je ne veux plus demeurer en ce monde, puisque l’esprit étant sain, je vois les moyens plus assis de la vengeance de ton père. — Toutefois, mon fils et doux ami, si tu as pitié de toi et soin de la mémoire de ton père, et si tu veux rien faire pour celle qui ne mérite point le nom de mère en tout endroit, je te prie de conduire sagement tes affaires, n’être hâté ni trop bouillant en tes entreprises, ni t’avancer plus que de raison à l’effet de ton dessein. Tu vois qu’il n’y a homme presque en qui tu te puisses fier, ni moi femme à qui j’osasse avoir dit un seul secret, lequel ne soit soudain rapporté à ton adversaire, lequel combien que feigne de m’aimer, si est-ce qu’il se défie et