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remettait au colporteur, et remontait triomphalement avec son emplette.

L’apparition d’un livre nouveau devait faire événement dans la maison de Shakespeare, au milieu de cette monotone existence de province, où les émotions sont si rares. La lecture en était annoncée d’avance ; elle devait se faire le soir en famille, car, le jour, tout le monde était occupé et Will aidait au service de la boutique. Le soir, donc, toute la famille se réunissait dans la même salle, devant la même bûche, à la lueur de la même chandelle, car il fallait économiser. Tous les siéges étaient mis en réquisition et placés le plus près possible de l’âtre, car l’hiver était rude et il faisait déjà grand froid. Les voyez-vous d’ici, tous les membres de l’auguste famille, rangés en cercle autour de ce triste feu ? À droite de la cheminée, cet homme aux cheveux grisonnants, qui est assis sur cette chaise haute, c’est le père de William, maître John Shakespeare, boucher, corroyeur, gantier et marchand de laine de son état, jadis élu par ses concitoyens bailli de la bonne ville de Stratford. En face de lui, à gauche de la cheminée, sur ce fauteuil unique dans la maison, cette matrone respectable qui tricote, c’est la mère de William, mistress Shakespeare, qui de son nom de fille s’appelle Marie Arden et qui descend d’un valet du roi Henry VII, s’il vous plaît. À côté d’elle, sur cette chaise basse, cette jeune femme qui allaite un enfant, c’est la femme même de William, demoiselle Anne Hathaway, fille d’un fermier de Shottery, humble village des environs. Près d’elle, sur ce tabouret, ce tout jeune homme au front élevé, au nez aquilin, à l’œil étincelant, c’est lui ! lui, l’auteur encore inconnu d’Othello et de Macbeth ! lui, le futur prince des poëtes, William Shakespeare ! Enfin, sur ce banc qui touche la chaise du père, cet adolescent, de dix-sept ans, c’est Gilbert, frère puîné