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ACTE III, SCÈNE I.

Brutus ! et la vôtre, Métellus et la vôtre, Cinna ; et la vôtre, mon brave Casca ; la vôtre enfin, bon Trébonius, nommé le dernier, mais non pas le moindre dans mon amitié. — Tous tous, patriciens… Hélas ! que dirai-je ? Ma réputation repose maintenant sur un terrain si glissant, que vous devez concevoir de moi l’une de ces mauvaises pensées, ou que je suis un lâche, ou que je suis un flatteur. — Que je t’aimai, César, oh ! c’est la vérité ! Si ton âme nous contemple maintenant, ne te sera-ce pas une douleur plus sensible que ta mort, de voir ton Antoine faisant sa paix avec tes ennemis, et secouant leur main sanglante, ô grand homme ! en présence de ton cadavre ? Si j’avais autant d’yeux que tu as de blessures, et qu’ils versassent des larmes aussi abondantes que les ruisseaux qu’elles versent de ton sang, cela me siérait bien mieux que de m’unir par des conventions d’amitié avec tes ennemis. — Pardonne-moi, Jules. — Ici tu fus environné, cerf courageux ; ici tu es tombé et ici se sont arrêtés les chasseurs portant les marques de ton massacre, et baignés dans le fleuve cramoisi de ton sang ! Ô monde, tu étais la forêt de ce cerf ; et véritablement, ô monde, il était ton centre[1]. — Maintenant te voilà étendu comme le cerf frappé par plusieurs princes.

cassius. — Marc-Antoine !…

antoine. — Pardonnez-moi, Cassius ; les ennemis de César en diront autant. C’est donc de la part d’un ami une bien froide modération.

cassius. — Je ne vous blâme point de louer ainsi César. Mais quel traité prétendez-vous faire avec nous ? Voulez-vous être inscrit au nombre de nos amis, ou bien poursuivrons-nous sans compter sur vous ?

antoine. — Vous le savez, j’ai pris vos mains ; mais il est vrai, j’ai été distrait de mon objet en baissant les

  1. Ô world, thou wast the forest to this hart
    and this, indeed, O world, the heart of thee.

    Hart, cerf, et heart, cœur, se prononcent de la même manière : ainsi la phrase d’Antoine signifiera également, il était ton cœur ou ton centre, et il était ton cerf.