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JULES CÉSAR.

intentions : j’ignore quel autre que César doit voir couler son sang, quel autre est devenu trop puissant. Si c’est moi, il n’est point pour ma mort d’heure aussi convenable que l’heure de la mort de César, ni d’arme aussi digne de moitié que ces épées que vous tenez, illustrées par le plus noble sang de cet univers. Je vous en conjure, si vous me voulez du mal, maintenant, tandis que vos mains rougies fument encore de la vapeur du sang, satisfaites votre désir. J’aurais mille ans à vivre, que jamais je ne me trouverais si disposé à mourir. Aucun lieu, aucun genre de mort, ne me plairont jamais comme de mourir ici près de César et par vos coups, vous, l’élite des grandes âmes de cet âge.

brutus. — Ô Antoine, n’implorez point de nous votre mort. Nous devons maintenant paraître sanguinaires et cruels, ainsi que par l’état de nos mains et par l’action que nous venons d’exécuter nous le paraissons à vos yeux : mais vous ne voyez que nos mains et cette œuvre sanglante qu’elles ont accomplie : nos cœurs, vous ne les voyez pas ; ils sont pitoyables, et c’est la pitié pour l’injure publique faite à Rome (car la flamme chasse une autre flamme, et de même la pitié une autre pitié) qui a ainsi agi contre César. Mais pour vous, Marc-Antoine, nos épées n’ont qu’une pointe de plomb, et nos bras, nos cœurs, frères en énergique colère, vous reçoivent avec toute la bienveillance. de l’affection, avec estime, avec égard.

cassius. — Votre voix aura autant d’influence que celle d’aucun autre dans la distribution des nouvelles dignités.

brutus. — Seulement, ayez patience jusqu’à ce que nous ayons calmé la multitude hors d’elle-même de frayeur ; et alors nous vous expliquerons par quel motif, moi qui aimais César au moment même où je le frappai, je me suis conduit ainsi.

antoine. — Je ne doute point de votre sagesse. — Que chacun de vous me donne sa main sanglante. D’abord, Marcus Brutus, je veux secouer la vôtre. Puis je prends votre main, Caïus Cassius ; maintenant la vôtre, Décius