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d’avoir assez peu de réserve pour écrire à un homme qu’elle savait bien devoir se moquer d’elle. « Je mesure son âme sur la mienne, dit-elle, car je me moquerais de lui s’il venait à m’écrire ; oui, quoique je l’aime, je me moquerais de lui. »

CLAUDIO. — Puis elle tombe à genoux, pleure, sanglote, se frappe la poitrine, s’arrache les cheveux ; elle prie, elle maudit ; Cher Bénédick !… Ô Dieu ! donne-moi la patience.

LÉONATO. — Voilà ce qu’elle fait, ma fille le dit ; et les transports de l’amour l’ont réduite à un tel point que ma fille craint parfois qu’elle ne se fasse du mal dans son désespoir. Tout cela est parfaitement vrai.

DON PÈDRE. — Il serait bien que Bénédick le sût par quelque autre, si elle ne veut pas le déclarer elle-même.

CLAUDIO. — À quoi bon ? Ce serait un jeu pour lui, et il tourmenterait d’autant plus cette pauvre femme.

DON PÈDRE. — S’il en était capable, ce serait une bonne œuvre que de le pendre ; c’est une excellente et très-aimable personne, et sa vertu est au-dessus de tout soupçon.

CLAUDIO. — Et elle est remplie de sagesse.

DON PÈDRE. — Sur tous les points, sauf son amour pour Bénédick.

LÉONATO. — Oh ! seigneur, quand la sagesse et la nature combattent dans un corps si délicat, nous avons dix preuves pour une que la nature remporte la victoire ; j’en suis fâché pour elle, comme j’en ai de bonnes raisons, étant son oncle et son tuteur.

DON PÈDRE. — Que n’a-t-elle tourné son tendre penchant sur moi ! J’aurais écarté toute autre considération, et j’aurais fait d’elle ma moitié. Je vous en prie, informez-en Bénédick, et sachons ce qu’il dira.

LÉONATO. — Cela serait-il à propos ? Qu’en pensez-vous ?

CLAUDIO. — Héro croit que sûrement sa cousine en mourra ; car elle dit qu’elle mourra s’il ne l’aime point, et qu’elle mourra plutôt que de lui laisser voir son amour ; et qu’elle mourra s’il lui fait la cour plutôt que de rabattre un point de sa malice accoutumée.