Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 2.djvu/411

Cette page n’a pas encore été corrigée

à moins d’être lui ; et voilà sa main sèche[1] d’un bout à l’autre. Vous êtes Antonio, vous êtes Antonio.

ANTONIO. — En un mot, non.

URSULE. — Bon, bon ; croyez-vous que je ne vous reconnaisse pas à votre esprit ? Le mérite se peut-il cacher ? Allons, chut ! vous êtes Antonio ; les grâces se trahissent toujours ; et voilà tout.

BÉATRICE. — Vous ne voulez pas me dire qui vous a dit cela ?

BÉNÉDICK. — Non ; vous me pardonnerez ma discrétion.

BÉATRICE. — Ni me dire qui vous êtes ?

BÉNÉDICK. — Pas pour le moment.

BÉATRICE. — On a donc prétendu que j’étais dédaigneuse, et que je puisais mon esprit dans les Cent joyeux contes[2]. Allons, c’est le seigneur Bénédick qui a dit cela.

BÉNÉDICK. — Qui est-ce ?

BÉATRICE. — Oh ! je suis sûr que vous le connaissez bien.

BÉNÉDICK. — Pas du tout, croyez-moi.

BÉATRICE. — Comment, il ne vous a jamais fait rire ?

BÉNÉDICK. — De grâce, qui est-ce ?

BÉATRICE. — C’est le bouffon du prince, un fou insipide. Tout son talent consiste à débiter d’absurdes médisances. Il n’y a que des libertins qui puissent se plaire en sa compagnie ; et encore ce n’est pas son esprit qui le leur rend agréable, mais bien sa méchanceté ; il plaît aux hommes et les met en colère. On rit de lui, et on le bâtonne. Je suis sûre qu’il est dans le bal. Oh ! je voudrais bien qu’il fût venu m’agacer.

BÉNÉDICK. — Dès que je connaîtrai ce cavalier, je lui dirai ce que vous dites.

BÉATRICE. — Oui, oui ; j’en serai quitte pour un ou deux traits malicieux ; et encore si par hasard ils ne sont pas remarqués ou s’ils ne font pas rire, le voilà frappé de mélancolie. Et c’est une aile de perdrix d’économisée,

  1. Comme signe d’un tempérament froid. Nous disons encore Vous avex les mains fraîches, vous devez être fidèle,
  2. The hundred merry tales, collection populaire d’anecdotes licencieuses et de facéties sans finesse, publiée par John Rastell, au commencement du xvie siècle, et réimprimée, il y a quelques années, par M. Singer, sous le titre Shakspearé Jest Book.