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ACTE II, SCÈNE II.

en donnant la mort, et la haine après l’avoir donnée ; car Antoine n’est qu’un membre de César. Soyons des sacrificateurs et non des bouchers, Cassius. C’est contre l’esprit de César que nous nous élevons tous : dans l’esprit de l’homme il n’y a point de sang. Oh ! si nous pouvions atteindre à l’esprit de César sans déchirer César ! Mais, hélas ! pour cela il faut que le sang de César coule ; mes bons amis, tuons-le hardiment, mais non avec rage : dépeçons la victime comme un mets propre aux dieux, ne la mettons pas en lambeaux comme une carcasse bonne à être jetée aux chiens. Que nos cœurs soient semblables à ces maîtres habiles qui commandent à leurs serviteurs un acte de violence, et semblent ensuite les en réprimander. Alors notre action semblera naître de la nécessité, et non de la haine ; et lorsqu’elle paraîtra telle aux yeux du peuple, nous serons nommés des purificateurs, non des assassins. Quant à Marc-Antoine, ne songez point à lui : il ne peut rien de plus que ne pourra le bras de César, quand la tête de César sera tombée.

cassius. — Cependant je le redoute, car cette tendresse qui s’est enracinée dans son cœur pour César…

brutus. — Hélas ! bon Cassius, ne songez point à lui. S’il aime César, tout ce qu’il pourra faire n’agira que sur lui-même ; il pourra se laisser aller au chagrin, et mourir pour César ; et ce serait beaucoup pour lui, livré comme il l’est aux plaisirs, à la dissipation et aux sociétés nombreuses.

trébonius. — Il n’est point à craindre : qu’il ne meure point par nous, car nous le verrons vivre et rire ensuite de tout cela.

(L’horloge sonne.)

brutus. — Silence, comptons les heures.

cassius. — L’horloge a frappé trois coups.

trébonius. — Il est temps de nous séparer.

cassius. — Mais il est encore incertain si César voudra ou non sortir aujourd’hui, car il est depuis peu devenu superstitieux, et s’éloigne tout à fait de l’opinion générale qu’il s’était autrefois formée sur les visions, les