Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 2.djvu/333

Cette page n’a pas encore été corrigée

créatures, souverains du vaste monde et de l’humide empire des mers, doués d’âmes et d’intelligences, d’un rang bien au-dessus des poissons et des oiseaux, sont les maîtres de leurs femmes et leurs seigneurs : que votre volonté soit donc soumise à leur convenance.

ADRIANA.—C’est cette servitude qui vous empêche de vous marier ?

LUCIANA.—Non pas cela, mais les embarras du lit conjugal.

ADRIANA.—Mais, si vous étiez mariée, il faudrait supporter l’autorité.

LUCIANA.—Avant que j’apprenne à aimer, je veux m’exercer à obéir.

ADRIANA.—Et si votre mari allait faire quelque incartade ailleurs ?

LUCIANA.—Jusqu’à ce qu’il fût revenu à moi, je prendrais patience.

ADRIANA.—Tant que la patience n’est pas troublée, il n’est pas étonnant qu’elle reste calme. Il est aisé d’être doux quand rien ne contrarie. Une âme est-elle malheureuse, écrasée sous l’adversité, nous lui conseillons d’être tranquille, quand nous l’entendons gémir. Mais si nous étions chargés du même fardeau de douleur, nous nous plaindrions nous-mêmes tout autant, ou plus encore. Ainsi, vous qui n’avez point de méchant mari qui vous chagrine, vous prétendez me consoler en me recommandant une patience qui ne donne aucun secours ; mais si vous vivez assez pour vous voir traitée comme moi, vous mettrez bientôt de côté cette absurde patience.

LUCIANA.—Allons, je veux me marier un jour, ne fût-ce que pour en essayer.—Mais voilà votre esclave qui revient ; votre mari n’est pas loin.

(Entre Dromio d’Éphèse.)

ADRIANA.—Eh bien ! ton maître tardif est-il sous la main5 ?

DROMIO.—Vraiment, il est sous deux mains avec moi. C’est ce que peuvent attester mes deux oreilles.

Niote 5 : (retour) At hand, c’est-à-dire sur tes pas.