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ACTE IV, SCÈNE XIII.

Cléopâtre.

Ces deux choses ne vont pas ensemble.

Antoine.

Chère Cléopâtre, écoutez-moi : de tous ceux qui entourent César, ne vous fiez qu’à Proculéius.

Cléopâtre.

Je me fierai à ma résolution et à mes mains, et non à aucun des amis de César.

Antoine.

N’allez point gémir, ni vous lamenter sur le déplorable changement qui m’arrive au terme de ma carrière ; charmez plutôt vos pensées par le souvenir de ma fortune passée, lorsque j’étais le plus noble, le plus grand prince de l’univers ; je ne meurs pas aujourd’hui honteusement ni lâchement, je ne cède pas mon casque à mon compatriote ; je suis un Romain vaincu avec honneur par un Romain. Ah ! mon âme s’envole. Je n’en puis plus.

(Antoine expire.)
Cléopâtre.

Ô le plus généreux des mortels, veux-tu donc mourir ? Tu n’as donc plus souci de moi ?… Resterai-je dans ce monde insipide, qui, sans toi, n’est plus qu’un bourbier fangeux. — Ô mes femmes, voyez ! Le roi de la terre s’anéantit… Mon seigneur !… Oui, le laurier de la guerre est flétri ; la colonne des guerriers est renversée. Désormais les enfants et les filles timides marcheront de pair avec les hommes. Les prodiges sont finis, et après Antoine il ne reste plus rien de remarquable sous la clarté de la lune.

(Elle s’évanouit.)
Charmiane.

Ah ! calmez-vous, madame.

Iras.

Elle est morte aussi, notre maîtresse.

Charmiane.

Reine…

Iras.

Madame…

Charmiane.

Ô madame ! madame ! madame !

Iras.

Reine d’Égypte ! souveraine…

Charmiane.

Tais-toi, tais-toi, Iras…

Cléopâtre.

Non, je ne suis plus qu’une femme, et assujettie aux mêmes passions que la servante qui trait les vaches et exécute les plus obscurs travaux. Il m’appartiendrait de jeter mon sceptre aux dieux barbares, et de leur dire que cet univers fut égal à leur Olympe jusqu’au jour où ils m’ont enlevé mon trésor. — Tout n’est