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ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.

Cléopâtre.

Ce son de voix n’est pas si agréable ! il ne peut l’aimer longtemps.

Charmiane.

L’aimer ? Oh ! par Isis, cela est impossible.

Cléopâtre.

Je le crois, Charmiane. Une langue épaisse et une taille de naine. — Quelle majesté a-t-elle dans sa démarche ? Souviens-t’en, si tu as jamais vu de la majesté.

Le messager.

Elle se traîne : qu’elle marche ou qu’elle s’arrête, c’est la même chose ; elle a un corps, mais sans vie ; c’est une statue, plutôt qu’une créature qui respire.

Cléopâtre.

En es-tu bien sûr ?

Le messager.

Oui, ou je ne m’y connais pas.

Charmiane.

Il n’y a pas trois hommes en Égypte plus en état que lui d’en juger.

Cléopâtre.

Il est plein d’intelligence, je m’en aperçois. — Il n’y a encore rien en elle. — Cet homme a un bon jugement.

Charmiane.

Excellent.

Cléopâtre.

Devine son âge, je te prie ?

Le messager.

Madame, elle était veuve.

Cléopâtre.

Veuve ? Tu l’entends, Charmiane.

Le messager.

Et je pense qu’elle a trente ans.

Cléopâtre.

As-tu son visage dans ta mémoire ? Est-il long ou rond ?

Le messager.

Rond à l’excès.

Cléopâtre.

es femmes qui ont ce visage, la plupart n’ont aucun esprit. — Ses cheveux, quelle est leur couleur ?

Le messager.

Bruns, madame ; et son front est aussi bas qu’il soit possible de le désirer.

Cléopâtre.

Tiens, prends cet or. Il ne faut pas t’offenser de mes premières vivacités. Je veux t’employer ; je te trouve très-propre aux affaires ; va te préparer à partir ; nos lettres sont prêtes.

Charmiane.

Un homme de sens.

Cléopâtre.

Oui, en vérité ; je me repens bien de l’avoir ainsi maltraité. — Eh bien ! il me semble, d’après ce qu’il en dit, que cette créature n’est pas grand’chose.