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Je vous écoute jusqu’à ce que vous ayez achevé votre récit.

Marina : Vous ne pourrez me croire ; il vaudrait mieux me taire.

Périclès : Je vous croirai jusqu’au dernier mot. Cependant permettez. Comment êtes-vous venue ici ? Où fûtes-vous élevée ?

Marina : Le roi mon père me laissa à Tharse. Ce fut là que le cruel Cléon et sa méchante femme voulurent me faire arracher la vie. Le scélérat qu’ils avaient gagné pour ce crime avait déjà tiré son glaive, quand une troupe de pirates survint et me délivra pour me transporter à Mitylène. Mais, seigneur, que me voulez-vous ? Pourquoi pleurer ? Peut-être me croyez-vous coupable d’imposture. Non, non, je l’assure, je suis la fille du roi Périclès, si le roi Périclès existe.

Périclès : Oh ! Hélicanus ?

Hélicanus : Mon souverain m’appelle ?

Périclès : Tu es un grave et noble conseiller, d’une sagesse à toute épreuve. Dis-moi, si tu le peux, quelle est cette fille, ce qu’elle peut être, elle qui me fait pleurer.

Hélicanus : Je ne sais, seigneur, mais le gouverneur de Mitylène, que voilà, en parle avec éloge.

Lysimaque : Elle n’a jamais voulu faire connaître sa famille. Quand on la questionnait là-dessus, elle s’asseyait et pleurait.

Périclès : Ô Hélicanus, frappe-moi ; respectable ami, fais-moi une blessure, que j’éprouve une douleur quelconque, de peur que les torrents de joie qui fondent sur moi entraînent tout ce que j’ai de mortel et m’engloutissent. Oh ! approche, toi qui rends à la vie celui qui t’engendra ; toi, qui naquis sur la mer, qui fus ensevelie à Tharse et retrouvée sur la mer. Ô Hélicanus, tombe à genoux, remercie les dieux avec une voix aussi forte que celle du tonnerre : voilà Marina. Quel était le nom de ta mère ? Dis-moi encore cela, car la vérité ne peut trop être confirmée, quoique aucun doute ne s’élève en moi sur ta véracité.

Marina : Mais d’abord, seigneur, quel est votre titre ?

Périclès : Je suis Périclès de Tyr : dis-moi seulement (car jusqu’ici tu as été parfaite), dis-moi le nom de ma reine engloutie par les flots, et tu es l’héritière d’un royaume, et tu rends la vie à Périclès ton père.

Marina : Suffit-il, pour être votre fille, de dire que le nom de ma mère était Thaïsa ? Thaïsa était ma mère, Thaïsa qui mourut en me donnant la naissance.