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besogne, luxure, pêle-mêle ; j’ai besoin de soldats – Voyez cette dame au sourire ingénu, dont la physionomie vous ferait supposer qu’elle cache la neige sous sa robe, qui raffine sur la vertu, et hoche la tête au seul nom de plaisir : le chat sauvage et l’étalon enfermé dans l’écurie n’y courent pas avec un appétit plus désordonné. A partir de la taille ce sont des centaures, quoique tout le haut soit d’une femme ; les dieux ne possèdent que jusqu’à la ceinture, tout ce qui est au-dessous appartient aux démons ; là est l’enfer, l’abîme sulfureux, brûlant, bouillant ; infection, corruption !… Fi ! fi ! fi ! pouah ! pouah ! — Honnête apothicaire, donne-moi une once de musc pour purifier mon imagination. Voilà de l’argent pour toi.

Glocester. – Oh ! laissez-moi baiser cette main.

Lear. – Que je l’essuie d’abord, elle sent la mortalité.

Glocester. – O ruines de l’œuvre de la nature ! Ce grand univers aussi finira par se réduire au néant – Me reconnais-tu ?

Lear. – Je me rappelle assez bien tes yeux. Je crois que tu me regardes de travers. Fais du pis que tu pourras, aveugle Cupidon ; non, je n’aimerai plus – Lis ce cartel ; remarques-en seulement les caractères.

Glocester. – Quand toutes les lettres seraient autant de soleils, je n’en pourrais pas voir une seule.

Edgar. – Je n’avais pu y croire sur le récit d’autrui ; cela est bien vrai, et cela me brise le cœur.

Lear. – Lis donc.

Glocester. – Comment, avec l’orbite de l’œil ?

Lear. – Oh ! oh ! est-ce bien vous qui êtes ici avec moi ? et point d’yeux à votre tête, point d’argent dans votre bourse ? — Vos yeux sont dans un cas très-grave, et l’état de votre bourse est léger ; et cependant vous voyez comme va le monde.

Glocester. – Je le vois parce que je le sens.