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LES APOCRYPHES.

essentiel et nécessaire avec la mort. Le premier acte, commencé par la noce de Thésée, se termine par l’ensevelissement des chefs thébains ; le dernier acte s’achève à la fois par le mariage de Palémon et par les funérailles d’Arcite. Quelle critique de notre destinée que cette inéluctable conclusion ! Voilà deux jeunes hommes accomplis, charmants, beaux, magnanimes et chevaleresques ; l’idéal illumine leurs fronts ; ils s’aiment ; leurs âmes sont sœurs ; ce ne sont pas des compagnons, ce sont des jumeaux ; soudain, près de ces inséparables une jeune fille passe, et ils sont à jamais divisés ! L’amour souffle sur leur amitié et la transforme en haine. Les voilà rivaux. L’un n’a plus qu’une idée, se défaire de l’autre. Ils se cherchent, l’épée à la main ; ils se défient, et dès lors s’impose le dénoûment lamentable : pour que celui-ci soit heureux, il faut que celui-la succombe. Il faut qu’on prépare un cercueil en même temps que le lit nuptial. Palémon ne reposera près d’Émilie que quand Arcite sera couché dans le linceul. Quel crime avait-il donc commis, cet Arcite, pour être si tôt condamné à mort ? Ce crime : aimer !

— Ô malheur infini ! dit Hippolyte éplorée, ces quatre beaux yeux ne devaient-ils se fixer sur un seul objet que pour qu’il y en eût deux d’aveuglés !

— Il en doit être ainsi, réplique froidement Thésée.

Et Thésée a raison ; car telle est la loi suprême. Dans le monde mystérieux et inexpliqué où nous sommes, la destruction est la condition nécessaire de l’existence. Toutes nos voluptés sont sanglantes, toutes nos félicités sont meurtrières ; notre satiété se complique toujours d’une boucherie. Le bonheur est doublé de deuil. Tout berceau ébauche une tombe. Qu’on me dise quel est le plaisir qui ne contienne pas une larme ! Qu’on me trouve une joie qui ne soit pas expiée par une affliction ! « Ô célestes charmeurs ! s’écrie le poëte en s’adressant aux dieux à la fin du drame,