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INTRODUCTION.

Palémon affamé, s’échappant d’un buisson et menaçant de ses poings enchaînés Arcite qui répond à toutes ces injures en promettant à son adversaire une lime pour le délier, des aliments pour le nourrir, une épée et une armure pour l’équiper.

L’accomplissement de cette promesse amène deux scènes très-pathétiques, les scènes où Palémon et Arcite, faisant trêve pour un moment à leur animosité, boivent à la santé l’un de l’autre en devisant des beaux jours passés, puis s’aident mutuellement à revêtir leur panoplie, se saluent, se défient et se battent dans une lutte à mort que la toute-puissance de Thésée peut seule interrompre. Ces deux scènes paraissent être de Fletcher, et, si elles sont de lui, comme on doit le croire, ce sont les plus belles qu’il ait jamais écrites.

Après ces deux scènes, le drame se poursuit et s’achève dans cette forme suprême dont Shakespeare seul a le secret. Shakespeare, par un merveilleux monologue, met à nu l’âme vierge de l’héroïne ; il nous peint le trouble d’Émilie essayant de choisir entre les deux amours qui s’offrent à elle. La pauvre enfant contemple-t-elle le portrait du doux et blond Arcite ? C’est Arcite qu’elle préfère. Regarde-t-elle la brune et virile figure de Palémon ? C’est Palémon qu’elle voudrait. À mesure qu’approche le moment fatal, l’anxiété de la jeune fille augmente. Elle se jette éperdue au pied de l’autel de Diane, et conjure la déesse de choisir elle-même entre les amants et de lui accorder le plus digne. Puis, quand le duel commence, elle se tient palpitante aux abords du champ clos et tâche de deviner l’issue du combat aux acclamations de la foule. Mille voix crient : Vive Palémon ! Vite Émilie, croyant Palémon vainqueur, tire de son sein le portrait d’Arcite : « Tu as donc perdu, mon pauvre serviteur ! dit-elle en le regardant. J’ai constamment porté ton portrait à ma droite, celui de Palémon à ma gauche. Pourquoi ? Je ne sais pas ; je n’avais pas de