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INTRODUCTION.

riorité lui paraît éclatante. Quoi qu’il en soit de cette hypothèse, c’est à coup sûr une composition curieuse que cette pièce où sont entassés tant d’épisodes étranges, — la préservation de l’armée bretonne par un miracle de Saint-Anselme, — l’empoisonnement du roi Aurelius par la reine Artesia, sa femme, — le châtiment d’Artesia enterrée vive par ordre du nouveau roi Uter Pendragen, — la naissance du prophète Merlin qui renie le diable son père et finit par l’emprisonner dans un roc. Ce drame fantastique, plein de visions et d’évocations, d’enchantements et de sortilèges, est tiré de la chronique de Geoffroy de Monmouth qui jusqu’au dix-septième siècle a eu l’autorité même de l’histoire et qui, on s’en souvient, a fourni à Shakespeare le cadre de deux chefs-d’œuvre, le Roi Lear et Cymbeline.

La publication des Deux nobles parents, en 1634, de la Naissance de Merlin, en 1662, — publication qui révèle au monde deux pièces inédites attribuées partiellement à Shakespeare, — a déjà ébranlé puissamment l’autorité de l’in-folio de 1623. Mais ce n’est pas encore le coup suprême. En 1664, après la chute de ce sombre régime puritain qui avait proscrit Shakespeare et fait fermer son théâtre, un libraire de Londres, Philipp Chetwinde, croit le moment venu de réimprimer les œuvres complètes du maître. Va-t-il faire ce qu’ont fait Smethwick et Aspley en 1632, — reproduire purement et simplement l’in-folio de 1623 ? Nullement. Convaincu que Condell et Héminge n’ont accompli qu’imparfaitement leur tâche, partant de ce principe que les trente-cinq pièces publiés en 1623 ne représentent pas intégralement le labeur trentenaire d’un si fécond génie, Chetwinde entreprend une minutieuse enquête ; il se met à la recherche des œuvres qui ont pu être omises par inadvertance ou de parti pris ; il interroge les vieux familiers de la scène anglaise, il consulte les archives des théâtres, il compulse les registres du Stationers’hall, il fouille les bibliothèques et par-