Page:Shakespeare, apocryphes - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1866, tome 1.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
17
INTRODUCTION.

Héminge et Condell procédèrent hardiment à la publication. Ils s’accordèrent avec deux importants libraires de Londres, Isaac Jaggard et Édouard Blount, qui se chargèrent de l’impression. Ils s’entendirent avec un graveur flamand, Martin Droeshout, qui s’occupa de graver un portrait quelconque du poëte pour le frontispice. Ils s’adressèrent à quelques écrivains contemporains qui s’engagèrent à improviser en l’honneur du défunt les pièces de vers destinées à inaugurer le volume. Enfin, ils s’attribuèrent à eux-mêmes la mission de rassembler les manuscrits, de les classer, de les réviser et de les présenter au public.

Les ouvrages de Shakespeare furent groupés en trois catégories : les comédies, — les pièces historiques, — les tragédies. Cette division avait-elle été indiquée par l’auteur ? J’en doute fort. Ce qui est certain, c’est que le classement même fut fait avec une extrême légèreté. Un véritable drame, le Conte d’hiver, prit place parmi les comédies ; trois pièces strictement historiques, Jules César, Coriolan, Antoine et Cléopâtre, furent insérées parmi les tragédies ; enfin, une comédie essentiellement fantasque, Troylus et Cressida, fut fourrée parmi les pièces historiques. Un détail curieux relatif a cette dernière œuvre prouve l’étrange étourderie des éditeurs. Le volume, un énorme in-folio de huit cents pages à double colonne, était entièrement composé, paginé, imprimé et tiré, quand ils s’aperçurent que Troylus et Cressida avait été omis. Le manuscrit était-il égaré ? En tout cas il n’était pas perdu. On le rechercha, on le retrouva et on l’imprima en hâte sans le chiffrer. Mais où diable l’insérer ? Grand embarras des éditeurs. La série des comédies remplissait 304 pages : la série des pièces historiques, 203 pages ; la série des tragédies, 299 pages. La série des pièces historiques était donc la moins volumineuse ; cette raison de symétrie parut décisive, et, sans plus de façon, Troylus et Cressida alla grossir, à la