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TITUS ANDRONICUS.

entrailles amères. — C’est par ce chemin que mes malheureux fils sont allés à la mort ; — voici mon autre fils, un banni ; — et voici mon frère, pleurant sur mes malheurs ; — mais celle qui cause à mon âme l’angoisse suprême, — c’est cette chère Lavinia, qui m’est plus chère que mon âme. — Je ne t’aurais vue ainsi qu’en peinture, — que cela m’eût rendu fou ; que deviendrai-je, — maintenant que je vois ta personne vivante en cet état ? — Tu n’as plus de mains pour essuyer tes larmes, — ni de langue pour me dire qui t’a martyrisée. — Ton mari est mort, lui ; et, pour sa mort, — tes frères sont condamnés, et déjà exécutés. — Regarde, Marcus ! ah ! regarde-la, mon fils Lucius ! — Quand j’ai nommé ses frères, de nouvelles larmes — ont alors apparu sur ses joues, comme le miel de la rosée — sur un lis déjà cueilli et presque flétri.

marcus.

— Peut-être pleure-t-elle parce qu’ils ont tué son mari ; — peut-être, parce qu’elle les sait innocents.

titus.

— Si en effet ils ont tué ton mari, alors sois joyeuse — de voir que la loi les en a punis… — Non, non, ils n’ont pas commis un si noir forfait ; — témoin la douleur que manifeste leur sœur… — Chère Lavinia, laisse-moi baiser tes lèvres, — et indique-moi d’un signe comment je puis te soulager. — Veux-tu que ton bon oncle, et ton frère Lucius, — et toi, et moi, nous nous asseyions au bord d’une source, — tous, baissant les yeux pour y contempler nos joues — flétries, pareilles à des prairies encore humides — du fangeux limon déposé par l’inondation ? — Resterons-nous penchés sur la source — jusqu’à ce que son onde pure ait perdu sa douceur — et soit changée en une eau saumâtre par l’amertume de nos larmes ? — Veux-tu que nous coupions nos mains, comme les tiennes ? — ou que nous déchirions nos langues avec nos dents et que nous